Entretien avec Alexis Gaborieau et Emma Provot, stagiaires pour le projet “Etude des conséquences immédiates et différées de l’immersion dans un environnement virtuel réaliste sur la cognition et les émotions des utilisateurs”, ayant bénéficié d’une bourse de stage ELIT en 2024
Ces stages ont bénéficié d’un cofinancement du cluster HEMI (Human Experience in Manufacturing & Industry 4.0).
Marine Ducoin : Merci d’être venus. Est-ce que vous pouvez vous présenter l’un après l’autre ?
Emma Provot : J’ai 22 ans, je suis en Master 1 d’infographie 3D à Laval, tourné plutôt vers la réalité virtuelle (VR). Avant d’entrer en master, j’ai effectué un début de formation en informatique graphique au Puy-en-Velay et une licence professionnelle de 3D temps réel à l’Université Catholique de l’Ouest de Laval, et je suis restée dans la ville pour mon master à l’Institut des Arts et Métiers. J’avais trouvé une annonce sur internet pour un stage avec un chercheur du Laboratoire des Sciences du Numérique de Nantes (LS2N). Après lui avoir envoyé un mail, il m’a dit avoir déjà trouvé quelqu’un, mais il m’a mise en contact avec Isabelle Milleville, qui cherchait également un·e stagiaire et après avoir passé un entretien, j’ai été prise pour ce stage.
Alexis Gaborieau : Je termine ma L3 de psychologie. C’est ma deuxième année de L3, car l’année dernière, j’ai dû redoubler à cause du stage obligatoire qu’il y a à faire en psychologie. J’avais donc toute cette année pour effectuer un stage obligatoire. Ma tutrice de stage, qui est également co-porteuse du projet, m’a dit que le Laboratoire de Psychologie des Pays de la Loire (LPPL) cherchait un·e étudiant·e pour un stage en binôme1. Initialement, elle avait proposé à des étudiants de master 1, mais puisque j’avais du temps, elle m’a proposé d’effectuer ce stage en parallèle d’un autre que j’avais déjà entamé. A l’heure actuelle, je peux consacrer tout mon temps à ce stage en binôme.
Marine Ducoin : Pouvez-vous décrire les missions que vous effectuez dans le cadre de ce stage dont l’objet est, pour mémoire, « Etude des conséquences immédiates et différées de l’immersion dans un environnement virtuel réaliste sur la cognition et les émotions des utilisateurs » ?
Emma Provot : J’ai réalisé la modélisation du bureau dans lequel on va faire l’expérience en réel, et je devais le modéliser le plus précisément possible par rapport à la réalité pour permettre de bonnes immersions en réalité virtuelle (VR) et réalité mixte (MR), ainsi que flouter les différences entre réel et virtuel.
Alexis Gaborieau : Je devais m’occuper de concevoir, d’imaginer les actions qui allaient avoir lieu dans ce bureau. Ces actions devaient se produire à la fois dans l’environnement réel et dans l’environnement virtuel, mais ces dernières devaient être différentes. Il a ensuite fallu que ces actions concordent avec les différentes variables choisies au préalable et avec l’aspect numérique de création d’environnement virtuel.
Marine Ducoin : J’ai cru comprendre que vous n’êtes pas au même endroit pour votre stage. Toi, Emma, tu es basée à l’école Centrale et toi, Alexis, tu es rattaché au laboratoire LPPL. Comment avez-vous fait pour communiquer ?
Alexis Gaborieau : Au début, on a travaillé chacun de notre côté. Pour ma part j’avais beaucoup de lectures à faire, beaucoup d’études de méthodologie, donc ça ne demandait pas énormément d’interdisciplinarité et de communication entre nous.
Emma Provot : Et moi, je m’occupais de la modélisation, donc je n’avais pas encore forcément besoin de penser aux interactions, je devais juste reproduire le bureau. En cas d’incompréhensions, la communication était nécessaire, ou quand on avait des questions, des doutes… C’était à ces moments-là qu’on avait des réunions.
Marine Ducoin : Comment l’interdisciplinarité s’est-elle manifestée durant le stage ?
Alexis Gaborieau : Elle s’est manifestée dans les moments où on voulait savoir quelles étaient nos limites en termes d’actions. On a rencontré des limites d’actions trop précises. C’était là que c’était le plus intéressant d’être en situation d’interdisciplinarité. Quand on avait des questions sur une action précise, c’était plus compliqué, parce qu’on n’avait pas la réponse tout de suite. On doit, non seulement, évaluer les actions, mais également les tâches de reconnaissance. Cela aurait demandé beaucoup plus de mémoire et cela aurait impacté l’expérience. En effet, si on intègre des données trop « lourdes » dans une expérience VR, « ça lag »2 et ce délai d’attente risque de briser l’expérience. C’est pour cela qu’il va falloir au maximum optimiser la modélisation des objets, en essayant d’avoir le moins de vertices (les points formant les polygones) possible, et faire en sorte que les textures ne soient pas trop lourdes. Mais pour faire du réel, il faut que tout soit détaillé un minimum pour donner une impression de vrai, et surtout dans notre cas, il s’agit de bien recréer des éléments existants que les participants vont voir « en vrai ».
Marine Ducoin : Selon vous, en quoi cette réflexion interdisciplinaire sur l’impact de la réalité virtuelle sur les individus exposés est importante, notamment en termes de santé publique ?
Alexis Gaborieau : Notre stage s’intéresse à la définition-même de l’environnement virtuel. Il s’agit de montrer ce que l’on est capable de créer en termes d’environnements, et de se demander si ces derniers sont réalistes au point de tromper l’humain. Il y est vraiment question de faux souvenirs. C’est pourquoi, déterminer si nous sommes capables ou non de reproduire un environnement virtuel similaire au réel, peut servir pour tout un tas d’études ou d’expériences, je pense notamment au traitement des phobies.
Emma Provot : Il existe déjà des applications de VR pour lutter contre les phobies, notamment dans les cas d’arachnophobie ou de vertige.
Marine Ducoin : J’imaginais que l’étude que vous effectuez avait également pour objectif d’avertir sur les inconvénients d’une exposition trop longue à la VR, notamment dans les jeux vidéo. Est-ce le cas ?
Alexis Gaborieau : Si une immersion était trop longue, elle nous mettrait nous-mêmes mal à l’aise, c’est ce qui ressort des études.
Marine Ducoin : Il y aura donc un questionnaire à la fin pour les personnes qui auront expérimenté la réalité virtuelle. Avez-vous réfléchi ensemble à ce dernier ?
Alexis Gaborieau : Oui, nous l’avons réalisé ensemble, bien que cette tâche m’était principalement attribuée. Ce que l’on veut évaluer, c’est la capacité des personnes à réattribuer l’action au bon environnement, sans réaliser d’erreur de source. On considère qu’une erreur de source résulte d’une confusion entre les environnements. Afin de faciliter la mémorisation des actions réalisées par les participants, nous avons élaboré un scénario dans l’expérience. Celui-ci prend la forme d’une enquête, d’un « escape game ». Pour fluidifier l’enchaînement des actions, les instructions sont données à l’utilisateur par le biais d’un enregistrement audio.
Marine Ducoin : Comment va se dérouler l’expérience ?
Emma Provot : Il y aura une personne dans la salle, l’« inspecteur », caché derrière un paravent. Son rôle sera de s’assurer que tout se passe bien, de lancer les audios et de confirmer que la personne a bien effectué la tâche. L’inspecteur déterminera si le participant peut passer à la tâche suivante. Pour cela, il aura un retour vidéo de la salle pour pouvoir voir ce que la personne fait, sans qu’elle le voit. Il y aura deux groupes d’utilisateurs : un premier qui effectuera l’expérience en réel et en réalité virtuelle et un deuxième groupe qui passera l’expérience en réel et en réalité mixte.
Marine Ducoin : Pouvez-vous définir ce qu’est la réalité mixte ?
Emma Provot : La réalité mixte ressemble à la réalité augmentée. On va superposer des objets virtuels sur la réalité. Par exemple, je vais avoir le casque sur la tête et je vais voir toute cette pièce réelle autour de moi. Cette tasse, par exemple, elle sera un objet virtuel. Je la verrai, elle sera posée sur la table. Mais elle n’est pas vraie. Il s’agit de rajouter des objets virtuels à l’environnement qui existe déjà. Si on peut parler avec le spectre de la virtualité, on peut dire que la réalité augmentée est la première partie de la virtualité, avec quelques objets se superposant au réel, et à l’autre bout se trouve la réalité virtuelle dans laquelle l’utilisateur est entièrement immergé dans un environnement virtuel. La réalité mixte, ce serait le milieu de ce spectre, avec à peu près autant d’objets réels que d’objets virtuels.
Alexis Gaborieau : L’objectif est d’évaluer la différence entre l’environnement virtuel et l’environnement mixte : les participants vont-ils avoir plus tendance à confondre l’environnement mixte avec le réel ou bien l’environnement virtuel avec le réel ?
Marine Ducoin : Avez-vous pu assister à des évènements en lien avec la recherche lors de votre stage ?
Alexis Gaborieau : Dans le cadre d’un séminaire à l’école Centrale, au LS2N, j’ai effectué une courte présentation dans laquelle je récapitulais ce qui avait été réalisé dans la recherche sur les faux souvenirs et la réalité virtuelle. C’était beaucoup de pression, parce qu’il y avait des chercheurs en face de moi. Néanmoins, c’était une très bonne expérience.
Emma Provot : J’ai assisté à des séminaires et j’ai participé à une expérience, au cours de laquelle je devais tester des réflexes sur plusieurs exercices. Il s’agissait d’une expérience pour les voitures autonomes.
Marine Ducoin : Quelles compétences professionnelles avez-vous développées lors de ce stage ?
Alexis Gaborieau : J’ai développé des compétences dans la création et la mise en place de protocole, la conduite de recherche, la communication et le travail en interdisciplinarité. C’était la première fois que je lisais des ouvrages de recherche. C’était une aventure de devoir les trier, d’en extraire des informations importantes, les informations globales sur la recherche en VR, les faux souvenirs…
Emma Provot : Mon stage m’a surtout permis d’apprendre à utiliser un nouveau logiciel que je ne connaissais pas vraiment avant : Blender, un logiciel de modélisation. Blender permet d’effectuer la modélisation, l’unwrap, texturing, et surtout, de créer soi-même le matériau, sur l’objet, directement, en procédural. Alors qu’avant, je devais passer par un autre logiciel pour le faire. C’est un logiciel gratuit. Je pense que le maîtriser va constituer un atout dans ma carrière à venir, notamment si je travaille au sein de petites entreprises n’ayant pas les moyens de payer des licences pour des logiciels payants.
Antoine Gabriel : Qu’est-ce que vous voulez faire plus tard ?
Alexis Gaborieau : J’aimerais faire de la recherche en psychologie cognitive. Donc, vraiment, dans le domaine dans lequel j’effectue ce stage.
Emma Provot : Pour ma part, j’aimerais bien continuer dans la modélisation, je voudrais travailler pour un petit studio de jeux vidéo, ou éventuellement devenir enseignante de 3D. Plusieurs doctorants, qui sont également chargés de cours, font de la recherche sur la VR donc c’est toujours intéressant de pouvoir échanger avec eux. Je constate tout de même que les sujets de recherche sont assez limités. Ils recoupent pour une majorité la question des avatars. Comment faire en sorte que la personne puisse bien se représenter elle-même dans cet univers 3D ? Ou bien, ils recoupent des questions liées à l’immersion en VR. Cela dit, travailler sur les faux souvenirs en lien avec l’expérience en VR m’intéresserait beaucoup dans le cadre d’une thèse orientée vers la sphère médicale.
Marine Ducoin : Y-a-t-il des axes d’amélioration concernant le stage, selon vous ?
Alexis Gaborieau : On aurait aimé avoir un bureau commun pour faciliter les échanges au sein de notre binôme.
Emma Provot : Au-delà des échanges, pour la modélisation des objets, une photo c’est peu précis. Alexis a dû mesurer les dimensions pour me faciliter la tâche. J’aurais bien aimé travailler une partie du temps dans le bureau pour pouvoir mieux observer les objets et leur texture, et re-vérifier les mesures aux besoins, tandis que là j’étais obligée de me fier à des mesures partielles et des photos prises avec une seule luminosité. De plus, le LPPL nous a demandé de concevoir des objets insolites qui n’étaient pas dans le bureau de base, et lorsque nous les avons vus avec Hugo (un ingénieur du LS2N) nous avons pu constater que les personnes au sein du LPPL n’étaient pas familières des problèmes et limites de la modélisation 3D et de la VR.
Marine Ducoin : Et quel est votre ressenti en termes de charge de travail durant le stage ?
Emma Provot : C’était très irrégulier, c’est-à-dire qu’il y avait des périodes où c’était calme et puis d’un coup, nous étions surchargés.
Alexis Gaborieau : J’ai mis du temps à m’imposer, à me dire que je représentais l’expertise en psychologie de ce stage. La communication a été compliquée, même si ce constat est indépendant de la volonté des tuteur.ice.s du stage. C’est en raison d’un concours de circonstances que la communication n’a pas pu être établie de manière efficace (charge de travail plus forte en fin d’année universitaire tant pour les enseignants-chercheurs que pour nous, pas de bureau en commun, peu de réunions et d’informations).
Antoine Gabriel : Avez-vous été amenés à mettre en commun votre bibliographie ?
Alexis Gaborieau : Oui, nous avons constitué un dossier collaboratif avec Zotero. C’était enrichissant. Moi, je me renseignais sur tout ce qui touchait vraiment à l’environnement (réel, virtuel, mixte).
Emma Provot : Et moi je me suis renseignée sur les faux souvenirs.
Entretien réalisé le 10 juin 2024 à la MSH Ange-Guépin. La transcription des entretiens a été réalisée à l’aide du logiciel Whisper, via Sharedocs (https://www.huma-num.fr/). Nous remercions la plateforme Huma-Num Loire (https://msh-ange-guepin.univ-nantes.fr/laccompagnement-a-la-recherche/huma-num-loire) pour son appui.
- Afin d’accompagner l’émergence de projets et collaborations interdisciplinaires associant les SHS aux sciences de l’ingénieur et/ou de la santé autour des enjeux de la santé et de l’industrie du futur, le réseau de recherche ELIT soutient des projets interdisciplinaires au travers d’un dispositif de bourses de stage pour des étudiant·e·s en M1 ou M2. [↩]
- « lag » désigne ici la lenteur d’un processus de transmission de données informatiques. [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Marine Ducoin (18 juillet 2024). Entretien avec Alexis Gaborieau et Emma Provot, stagiaires pour le projet “Etude des conséquences immédiates et différées de l’immersion dans un environnement virtuel réaliste sur la cognition et les émotions des utilisateurs”, ayant bénéficié d’une bourse de stage ELIT en 2024. ELIT (Elaborating Interdisciplinarity with SSH). Consulté le 21 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/121hb