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Entretien avec Jérémy Gastellu, master 2 d’éthique, stagiaire ayant mené une étude auprès de professionnels de la santé au sujet des critères de triage des patients atteints de douleurs chroniques, ayant bénéficié d’une bourse de stage ELIT en 2024

Marine Ducoin : Peux-tu te présenter et nous parler de ton parcours académique ?

Jérémy Gastellu : J’étais étudiant au sein du master 2 d’éthique, qui est porté par les facultés de Lettres et langages et de Médecine de Nantes Université. Avant cela, j’ai effectué des études de droit et d’ostéopathie. Puis j’ai fait ce master d’éthique durant lequel j’ai réalisé mon stage.

Marine Ducoin : Comment as-tu intégré ce stage ?

Jérémy Gastellu : J’ai intégré le projet en première année de master, par un premier stage qui s’est déroulé au Centre d’évaluation et de traitement de la douleur (CETD) de Nantes. J’ai réalisé ce stage avec le professeur Julien Nizard, qui enseigne dans le master, puis j’ai poursuivi mes recherches lors du master 2 par un stage1 dans le même service et au laboratoire de Philosophie de Nantes Université, le CAPhi. Julien Nizard et Guillaume Durand me dirigeaient dans le cadre de mon mémoire. Étant ostéopathe, la douleur est une thématique qui m’intéresse.

Marine Ducoin : Quelles sont les missions que tu as effectuées lors de ton stage de master 2 ?

Jérémy Gastellu : L’objectif du stage de cette année était principalement de répondre à la question de recherche posée dans le mémoire. C’est pourquoi j’ai conduit des entretiens à La Roche-sur-Yon, à Nantes et à Paris dans des structures de douleurs chroniques dans le but de faire ressortir les différents critères éthiques qui permettent de prioriser les patients atteints de douleurs chroniques. J’ai interrogé 12 professionnels : des psychologues, des médecins, des assistants sociaux, des infirmiers et des kinésithérapeutes. Ces entretiens duraient en moyenne 48 minutes.

Marine Ducoin : Les réponses au sujet de la prise en charge des patients atteints de douleurs chroniques différaient-elles beaucoup d’un professionnel à un autre ?

Jérémy Gastellu : Les différences n’étaient pas tant liées à la profession qu’au lieu d’exercice de leurs fonctions, contrairement à ce que j’imaginais.  Je pensais avoir des critères plutôt psychologiques pour les psychologues, des critères plutôt médicaux pour les médecins et des critères plutôt fonctionnels pour les kinésithérapeutes. Finalement, j’ai eu des surprises. Toutefois je n’ai pas réussi à interroger autant de médecins que de psychologues, de kinésithérapeutes, etc.

Antoine Gabriel : Parler éthique avec les médecins a-t-il été difficile ? Sont-ils formés à s’exprimer sur ce domaine ?

Jérémy Gastellu : Je ne pense pas vraiment qu’ils soient formés, même si je ne prétends pas pouvoir parler précisément de leur formation. C’est propre à chaque individu. Il arrive que d’autres professionnels de la santé soient dans une dynamique d’échange sur des questions éthiques. Dans certaines structures, les infirmiers effectuent le triage, dans d’autres, ce sont les médecins. En France, on observe de grandes disparités géographiques dans les méthodes de triage des patients douloureux chroniques.

Marine Ducoin : As-tu échangé avec des patients également ?

Jérémy Gastellu : J’en ai rencontré durant le stage et j’ai discuté avec eux, mais je ne les ai pas interrogés de la même manière que les professionnels. J’aurais bien aimé mais pour des raisons de faisabilité ce n’était pas envisageable au niveau master.

Marine Ducoin : En quoi une réflexion interdisciplinaire en éthique et en santé sur la prise en charge des patients atteints de douleurs chroniques est importante selon toi ?

Jérémy Gastellu : Je pense que pour prioriser les patients, il est important de réfléchir aux différentes façons dont le triage s’effectue. On ne s’appuie pas uniquement sur des critères médicaux mais aussi sur des valeurs et sur des normes. Et la médecine « pure et dure » ne saurait y répondre car elle permet de déterminer si le patient est en état d’urgence ou non, depuis combien de temps ce dernier souffre… Mais ses outils sont limités pour choisir entre deux patients qui ont une urgence « médicale » similaire mais un parcours de vie très différent. C’est précisément ce qui ressort des entretiens que j’ai menés, au cours desquels les professionnels affirmaient ne pas disposer de suffisamment d’outils et de ressources sur lesquels s’appuyer pour ce travail de triage des patients, qui n’est pas reconnu en tant que tel. Doit-on prioriser le patient qui souffre depuis plus longtemps plutôt qu’un patient dont les douleurs sont plus fortes ? Il n’est pas aisé d’y répondre.

Marine Ducoin : Quelles valeurs éthiques priment pour la prise en charge des patients atteints de douleurs chroniques ?

Jérémy Gastellu : Je ne saurais répondre à cette question tout seul. Une réflexion à plusieurs, qui cette fois-ci, inclurait les patients, s’impose. Il est nécessaire de demander aux intéressés selon quels critères la prise en charge devrait s’articuler jusqu’à obtention d’un consensus entre les patients et les professionnels.

Antoine Gabriel : Je souhaite rebondir sur la question des critères. Quels critères sont ressortis de cette étude ?

Jérémy Gastellu : Dans le cadre du master 1, nous avons effectué une observation, qui a donné lieu à un tableau de critères. Il s’agissait de critères d’exclusion, de priorisation et de placement des patients sur liste d’attente. Ces questions de critères au sujet de la prise en charge sont souvent taboues, ce qui rend la recherche compliquée. Demander à des professionnels s’ils pensent que les patients âgés devraient être exclus des CTED est une question extrêmement délicate. Je craignais de ne pas réussir à obtenir des réponses à ce type de questions. A partir des critères retrouvés dans la littérature scientifique, j’ai réalisé un tableau contenant des critères culturels, ethniques, religieux, de savoir, d’âges, …etc., que je donne aux professionnels en milieu d’entretien et je leur demande de répondre s’ils sont d’accord ou non avec ces derniers. La question d’une définition d’urgence en douleurs chroniques s’est posée. Certains professionnels partaient du principe qu’il faudrait prioriser les patients en fonction du médecin qui adresse la demande. Cela dit, une majorité de participants étaient d’accord pour prioriser les patients, notamment ceux qui pourraient développer des risques d’aggravation des douleurs chroniques et d’autres paramètres. Des auteurs dans la littérature scientifique proposent dans d’autres systèmes d’utiliser l’adresse postale des patients2, par exemple, pour les prioriser ou pour leur faire accéder à certaines ressources, car l’adresse est porteuse de marqueurs sociaux de la santé. Ainsi priorise-t-on ceux qui ont moins facilement accès aux soins en général ou bien ceux qui ont les facteurs les plus défavorables dans la santé ? Ces outils existent déjà dans d’autres domaines. Sont-ils pour autant pertinents en matière de douleurs chroniques ? C’est une autre manière d’aborder la question de la prise en charge. Le travail ou « l’utilité sociale » comme on le trouve dans la littérature, pourrait tout aussi bien être un critère. Un soignant doit-il être prioritaire en matière de soins ? Cette question s’est posée dans le cadre de la crise Covid. Et dans le cadre du travail en général, faut-il prioriser un patient qui travaille, qui contribue et qui cotise, plutôt qu’un patient qui est au chômage ?

Marine Ducoin : Comment as-tu appréhendé la charge de travail ?

Jérémy Gastellu : Ayant commencé à étudier la philosophie à partir du master seulement, j’avais du mal à m’appuyer sur des notions propres à cette discipline contrairement à la santé. C’est pourquoi j’ai beaucoup lu dans le cadre du stage, je me suis penché sur la thématique du triage pendant le Covid, car la crise a donné lieu à beaucoup de littérature sur le sujet. Toutefois, la question du triage des patients en dehors des cas d’urgence m’a posée quelques difficultés dans la mesure où l’on n’a pas beaucoup écrit à ce propos et c’est ce qui me manque le plus.

Marine Ducoin : As-tu assisté à des événements en lien avec la recherche lors de ton stage ?

Jérémy Gastellu : J’ai présenté le mémoire au Congrès International de Bioéthique au Qatar le 6 juin 2024 et j’ai participé aux Masteriales le 18 juin 2024. J’ai également répondu à un appel à communication pour un colloque sur le triage hors contexte d’urgence, qui aura lieu en 2025 à Paris.

Entretien réalisé le 25 juin 2024 à 14h30 à la MSH Ange-Guépin. La transcription des entretiens a été réalisée à l’aide du logiciel Whisper, via Sharedocs (https://www.huma-num.fr/). Nous remercions la plateforme Huma-Num Loire (https://msh-ange-guepin.univ-nantes.fr/laccompagnement-a-la-recherche/huma-num-loire) pour son appui.


 

  1. Afin d’accompagner l’émergence de projets et collaborations interdisciplinaires associant les SHS aux sciences de l’ingénieur et/ou de la santé autour des enjeux de la santé et de l’industrie du futur, le réseau de recherche ELIT soutient des projets interdisciplinaires au travers d’un dispositif de bourses de stage pour des étudiant·e·s en M1 ou M2 []
  2. Comme cela a été démontré dans cet article : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/38426538 . Deux autres articles précisent la manière dont le “zip code” peut être utilisé : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34007071/ ; https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33408091 []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Marine Ducoin (18 juillet 2024). Entretien avec Jérémy Gastellu, master 2 d’éthique, stagiaire ayant mené une étude auprès de professionnels de la santé au sujet des critères de triage des patients atteints de douleurs chroniques, ayant bénéficié d’une bourse de stage ELIT en 2024. ELIT (Elaborating Interdisciplinarity with SSH). Consulté le 21 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/121ha


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