Entretien avec Quentin Duflos, master Ethique, stagiaire pour le projet “Enjeux de la mise en œuvre d’un enseignement de santé intégrative auprès des étudiants en soins infirmiers”, ayant bénéficié d’une bourse de stage ELIT en 2023
Hugo Doux : Merci d’avoir accepté cet entretien. Dans un premier temps, peux-tu nous présenter ton parcours académique ainsi que le contexte dans lequel tu as réalisé ce stage ?
Quentin Duflos : Au départ je suis infirmier, c’est ce qui m’a amené à faire un master en éthique clinique1. Mon projet professionnel était de faire de l’enseignement, pour en avoir déjà fait auprès des aides-soignants. Pour pouvoir enseigner auprès des élèves infirmiers, il me fallait un master. Je cherchais un master qui me plaisait et j’ai eu la chance de pouvoir travailler sur un thème autour de mon projet professionnel d’enseignement auprès des étudiants infirmiers. Au préalable, j’ai aussi dix ans d’expérience dans le métier d’infirmier. Mon travail de recherche s’axe sur l’enseignement de la santé intégrative et plus spécifiquement des pratiques psychocorporelles aux étudiants en soins infirmiers. J’ai pu travailler en pluridisciplinarité à la fois sur des questions d’éthique relatives à des situations de soin et en même temps en côtoyant des gens qui étaient dans l’ingénierie de formation, et qui pouvaient apporter un regard sur la pédagogie, sur comment on met en lien la pratique et la théorie pour essayer d’être le plus cohérent possible. Les pratiques psychocorporelles nécessitent aussi de rentrer dans le domaine de la psychologie et de la psychothérapie.
Hugo Doux : Est-ce que ton stage s’est inséré dans un projet de recherche existant déjà avec d’autres chercheurs ou est-ce que c’est quelque chose construit de toutes pièces ?
Quentin Duflos : Directement non, c’était vraiment indépendant comme travail de recherche. Maintenant, indirectement oui parce que mon directeur de mémoire, qui est professeur en médecine, a œuvré pour le faire reconnaître auprès des étudiants en médecine et incorporer dans leur référentiel un enseignement de médecine intégrative. A partir de là, j’ai forcément été influencé par des personnes maîtrisant le champ et l’enseignement de la médecine qui derrière étaient intéressées par l’idée que j’aille plutôt du côté des paramédicaux et notamment des infirmiers. D’une certaine manière ça met en complémentarité. Mais pour la construction de mon sujet de recherche, ma problématique, là-dessus j’étais entièrement libre. Ça m’a permis de faire des erreurs, mais aussi de pouvoir faire le travail que j’avais envie de faire.
Hugo Doux : Tu as une double formation, santé et sciences humaines et sociales, comment cela a-t-il joué sur ton travail? Comment as-tu articulé des méthodes ou des questionnements propres aux deux champs pour produire ton travail ?
Quentin Duflos : C’était vraiment intéressant de découvrir à quel point la conceptualisation et la théorisation de ce qui se passe dans les soins ont pu être travaillées au niveau académique notamment dans les sciences humaines. Il est évident que ça a inspiré mes pratiques professionnelles et ça a forcément eu un impact sur mon travail de recherche. Si on prend la question de l’éthique par exemple, ça m’a permis de croiser des grands principes éthiques et d’aller chercher ensuite des liens avec des conceptualisations éthiques plus proches du terrain comme l’éthique du care, tout en essayant de voir d’où venaient ces concepts fondamentalement et comment ils s’exprimaient dans la pratique, ça c’était une vraie richesse.
Hugo Doux : Pour toi, il y a eu une véritable articulation selon un triptyque recherche-pratique de soin-enseignement ?
Quentin Duflos : Oui, tout à fait. De toute façon, je pense que dans l’enseignement des sciences infirmières c’est une nécessité de pouvoir explorer ces différents champs que ce soit les sciences humaines ou les questionnements autours de nos pratiques professionnelles de soin.
Hugo Doux : La formation en sciences infirmières c’est une formation qui est déjà interdisciplinaire en elle-même selon toi ?
Quentin Duflos : C’est bien le propre de l’infirmier. Déjà dans l’enseignement on rencontre diverses disciplines que ce soit la sociologie, l’anthropologie, la psychologie et bien sûr les spécialités infirmières propres, qui se rejoignent toutes dans un questionnement de la relation, du rapport à l’autre. Pour moi, il est clair que c’est pluridisciplinaire. L’infirmier a un rôle central, au quotidien dans sa pratique il est côtoyé et il côtoie, il est vraiment la personne qui doit pouvoir orienter, comprendre et regrouper les informations. Il est important de rester éveillé, on a trop souvent tendance en tant qu’infirmier à devenir plus une machine à faire, à être dans les actes qu’à être capable justement de faire ces pas de côté, à aller chercher dans les sciences humaines ce qui peut venir enrichir la pratique. C’est vraiment quelque chose qui me tient à cœur.
Hugo Doux : J’ai l’impression que dans ton travail il y a eu une superposition de champs déjà en eux-mêmes interdisciplinaires (soins infirmiers, médecine, sciences humaines et sociales). Comment as-tu réussi à naviguer dans toutes ces imbrications de disciplines, est-ce que ça représentait des difficultés ? Est-ce qu’il y a des endroits où la circulation était plus simple que d’autres ?
Quentin Duflos : Ça a été très dur en fait, c’est ce qui a fait que j’ai modifié complètement mon sujet de recherche. Parce qu’en fait j’avais ouvert trop de portes. Je découvre aussi la recherche avec mon travail, je découvre les limites que ça peut avoir et la nécessité d’être bien centré sur un sujet précis. C’était très difficile de faire ressortir des données pertinentes et concordantes dans les entretiens. Notamment parce que les sujets étaient beaucoup trop généraux, et que parfois sur certaines thématiques, comme la spiritualité, les sujets demandaient presque à avoir quelqu’un de plus expert dans le domaine. Après, ça m’a quand même permis de comprendre qu’il allait falloir que je recentre mon sujet et que j’aille chercher quelque chose qui me parlait plus, et donc je suis allé vers ma pratique professionnelle. Je me suis dit qu’il fallait essayer de recentrer sur quelque chose que je connaissais mieux, que j’allais mieux pouvoir synthétiser et mettre en lien avec des concepts. Ça a cheminé malgré tout grâce à ça.
Hugo Doux : Est-ce que tu penses que ça aurait pu être un apport d’avoir quelqu’un d’une autre discipline pour venir te compléter justement sur ces portes ouvertes qui n’ont pas forcément trouvé de suites ? Pour toi est-ce que ça aurait apporté quelque chose ?
Quentin Duflos : Une difficulté que j’ai rencontrée c’est que je n’ai peut-être pas su identifier mes besoins et les exprimer auprès de mon directeur de mémoire notamment. Il est évident que j’aurais eu un vrai bénéfice à avoir quelqu’un plus en lien avec le terrain justement. J’ai pu beaucoup m’enrichir dans mes stages, parce que j’ai fait un stage en centre fédératif de la douleur, sur de la consultation douleur plutôt avec des praticiens, des médecins, et l’autre versant du stage je l’ai effectué à l’institut de formation en soins infirmiers de Nantes. Je me suis vraiment inspiré de ça pour construire mon sujet et le réactualiser. Mais après, quand j’ai dû analyser les données et les discuter, ça a été vraiment une carence de ne pas avoir une personne ressource. Donc, oui, j’aurais eu besoin d’un peu plus. J’ai d’ailleurs fait appel sur le versant méthodologique à une autre personne de la faculté qui m’a accompagné sur ma conceptualisation du guide et l’analyse de mes entretiens. Pour faire ce lien avec le terrain, avec ce sujet qui est vaste et qui nécessitait de faire un va-et-vient permanent entre le terrain et les concepts un peu plus académiques c’est vrai que j’ai trouvé une vraie limite, moi qui ne viens pas de l’université.
Hugo Doux : Comment la santé intégrative apporte-t-elle des renouvellements à la discipline des soins infirmiers ?
Quentin Duflos : Cela va revaloriser quelque chose qui est vraiment fondamental dans les soins infirmiers qui est l’approche bio-psycho-sociale. En fait cette approche est de toute façon pluridisciplinaire, et invite vraiment la personne à se mettre à la place du patient et à adapter les soins de ce dernier. C’est vraiment ça aussi qui peut nourrir et inviter à valoriser ces soins infirmiers qui sont aujourd’hui un petit peu « sous-côtés », les infirmiers étant, malgré leur rôle propre, leur capacité d’initiative, souvent cachés par le rôle médical prescrit. Je pense que cette approche de la santé intégrative, permet « pluridisciplinairement » de voir plus loin que ce simple binôme médecin-infirmier et aussi d’amener encore un peu de fraîcheur en n’oubliant pas bien sûr qu’en face se présente un patient unique, avec sa singularité. Maintenant ça reste quelque chose de déjà étudié donc en fait ça vient juste renforcer, s’appuyer sur des concepts qui sont déjà abordés. Je me suis rendu compte que ces approches sont peut-être abordées trop tôt dans la formation, dès la première année. Et aussi l’attention aux pratiques non-médicamenteuses peut nous permettre de comprendre ce que font les autres thérapeutes, d’orienter le patient et de pouvoir travailler en pluriprofessionnalité, en pluridisciplinarité dans un sens plus pratique.
Hugo Doux : Est-ce qu’il y a selon toi des moments qui sont plus opportuns pour l’ouverture à d’autres disciplines pour les infirmiers ? Par exemple, est-ce que pendant la période de la pratique vous êtes un peu trop sous l’eau et donc la formation c’est vraiment le moment opportun pour ce travail ?
Quentin Duflos : C’est intéressant, parce que c’est quelque chose qui ressort beaucoup des entretiens. La critique que je peux faire aussi, professionnellement, c’est vraiment le manque de temps, comme tu dis on est la tête sous l’eau. Ce qui me semble intéressant dans la formation c’est d’offrir des outils mobilisables. Si on veut vraiment intégrer des enseignements à la pratique professionnelle ça passe par des outils simples d’utilisation. Il y a aussi quelque chose qui ressort beaucoup de mes recherches c’est l’expérience, la nécessité d’expérimenter, de passer par l’expérimentation pour pouvoir ressentir, observer, pouvoir se mettre à la place de celui qui va pratiquer et pouvoir accompagner le patient.
Hugo Doux : Dans ton stage tu as mis en œuvre des méthodes de sciences humaines et sociales comme les entretiens. Est-ce que ce sont des choses que tu penses remobiliser après dans ton travail infirmier ou de formation ?
Quentin Duflos : J’ai fait un gros travail en amont sur l’analyse thématique réflexive qui était une découverte complète pour moi. Et c’est vrai que j’en mesure la difficulté, le temps et l’énergie passés, et en fait aussi la pertinence des choses qui ressortent et l’intérêt que ça peut avoir. Juste pour faire du lien avec ma pratique professionnelle d’infirmier en santé mentale, les entretiens infirmiers c’est quelque chose que je faisais beaucoup. J’avais déjà eu l’occasion d’avoir cette posture, cette dynamique d’entretien semi-dirigé. Et auprès des étudiants ce sera forcément utile dans l’accompagnement dans leurs travaux de recherche. C’est ce qui va me permettre de mieux comprendre l’avancée d’un travail méthodologique en recherche qualitative, et de justement mieux pouvoir les conseiller, les orienter, voir où ils en sont, mieux comprendre.
Entretien réalisé le 24 octobre 2023, 15h, sur Zoom par Hugo Doux,
étudiant – chargé de communication et de valorisation de la recherche (en poste au sein du réseau ELIT de septembre 2023 à janvier 2024)
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Hugo Doux (19 mars 2024). Entretien avec Quentin Duflos, master Ethique, stagiaire pour le projet “Enjeux de la mise en œuvre d’un enseignement de santé intégrative auprès des étudiants en soins infirmiers”, ayant bénéficié d’une bourse de stage ELIT en 2023. ELIT (Elaborating Interdisciplinarity with SSH). Consulté le 21 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/w1xy